Alors que les combats entre l’armée et les forces paramilitaires entrent dans leur 12e semaine au Soudan, la zone de bombardements aériens s’étend pour la première fois à une ville du sud du pays. Ce contexte de crise affecte particulièrement la petite minorité chrétienne, déjà fragilisée par la persécution religieuse qu’elle subit. Décryptage avec Fikiru Mehari*, spécialiste de l’Afrique de l’Est pour l’ONG Portes Ouvertes.
Depuis le 15 avril, la guerre entre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide, du général Mohamed Hamdane Daglo, a fait plus de 1800 morts selon l’AFP, et deux millions de déplacés, selon l’ONU.
Les combats, qui entrent dans leur 12e semaine, s’étaient jusqu’à présent essentiellement concentrés à Khartoum, la capitale de cinq millions d’habitants, et dans la vaste région du Darfour, dans l’Ouest.
L’armée de l’air a mené «des frappes aériennes pour la première fois sur El-Obeid», une ville à 350 kilomètres au sud de la capitale Khartoum, «qui est encerclée par les forces paramilitaires depuis le début des combats», ont raconté à l’AFP plusieurs témoins.
Des conséquences pour les chrétiens
La plus grande préoccupation de la minorité chrétienne, qui compte 2 millions de personnes (4.3% de la population) est que l’instabilité engendrée par les conflits actuels fasse le jeu des islamistes extrémistes et leur permette d’imposer à nouveau des lois islamiques aux citoyens soudanais.
Fikiru Mehari* (nom d’emprunt pour des raisons de sécurités), analyste pour l’Afrique de l’Est chez Portes Ouvertes, une organisation internationale d'aide aux chrétiens persécutés, précise: «Cette guerre est une opportunité offerte aux extrémistes islamiques de reprendre le pouvoir et de dire: "Vous voyez, la démocratie ne fonctionne pas, retournons à la charia".»
Pour rappel, les chrétiens avaient vécu une amélioration encourageante de leurs conditions, après le renversement d’Omar al-Bashir, en 2019. En effet, le gouvernement de transition au pouvoir par la suite au Soudan a introduit un nouveau cadre juridique garantissant les droits humains fondamentaux de tous les Soudanais, quels que soient leur ethnie, leur sexe ou leur religion
Mais suite au coup d'État militaire de la fin de l'année 2021 et aux manifestations ayant conduit à la démission du Premier ministre Abdallah Hamdok, le Soudan s'est tristement retrouvé au 10e rang de l’Index mondial de persécution, qui répertorie les 50 pays où les chrétiens sont le plus persécutés. Ceci en raison de l’accession graduelle au pouvoir d'anciens alliés d'El-Béchir, adeptes d’une interprétation stricte de la charia et pratiquant une ingérence grandissante dans le fonctionnement des églises.
Un avenir très sombre
Personne ne sait qui a lancé les hostilités le 15 avril dernier, jour du début de la crise actuelle, mais les conséquences sur la population sont déjà désastreuses, également pour la minorité chrétienne. «Les gens ont protesté il y a quatre ans parce qu’ils n’avaient pas de pain. C’est toujours vrai aujourd’hui, mais ils sont encore plus inquiets», poursuit Fikiru Mehari. «Nous craignons que cette crise ne permette aux islamistes d’influencer la vie politique soudanaise. Ceci mettrait les chrétiens sur le chemin d’une nouvelle dictature qui leur serait opposée. Leur vie serait alors encore pire que du temps d’Omar al-Bashir. L’avenir est vraiment sombre pour eux», déplore-t-il.
Tache d'huile
Fikiru Mehari s’inquiète également pour les chrétiens de l’ensemble de l’Afrique de l’Est. Leurs conditions de vie pourraient se détériorer si l’islam radical reprenait pied au Soudan, faisant tache d’huile dans toute la région. Il plaide pour une intervention de la communauté internationale. Des puissances étrangères qui pour l'instant se contentent d'évacuer leurs ressortissants, notamment vers le Royaume-Uni, les États-Unis, la France et la Chine, avec l’aide de l’armée régulière soudanaise.